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La diversité comme sujet ne m’intéresse pas.

Lettre ouverte

Le lundi 8 mai 2017, le Centre du Théâtre d’aujourd’hui annonçait sa saison 2017-2018. Ma pièce Jean dit fait partie des pièces programmées. J’ai profité du rituel du lancement de saison pour lire la déclaration suivante :

« Avec Jean dit, ce n’est pas un individu, mais toute une société que je veux mettre sur scène. Cette société ressemble au Québec d’aujourd’hui, dans toute sa diversité. Le théâtre tarde à représenter ce Québec actuel, comme si, en passant les portes de la salle, de grands pans de sa population disparaissaient. »

Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent expliquer ce phénomène. Elles me semblent toutes assez mauvaises.

Ce que nous devons avouer, c’est que le théâtre au Québec peine à s’imaginer dans d’autres couleurs que le blanc. Lorsqu’il se flatte de le faire, c’est pour mieux souligner la différence entre « nous » et « les autres ».

Se représenter autrement que comme une société blanche homogène relève de l’évidence. Or, cela est aujourd’hui encore revendiqué comme un geste d’audace, soulignant l’important décalage entre la société qui nous entoure et la représentation que nous nous en faisons.

Une urgente mise à jour s’impose, qui doit aller au-delà des programmes gouvernementaux et des projets de médiation culturelle, et qui commence par soi. C’est pourquoi, afin de choisir la distribution de Jean dit, j’ai souhaité ouvrir des auditions s’adressant aux acteurs de la diversité culturelle que je ne connais pas.

Je ne sais pas ce que je cherche, c’est-à-dire l’âge, la taille, la couleur. Je m’en fous d’ailleurs assez. Je cherche tout simplement de bons acteurs et de bonnes actrices. Si je fais ces auditions, ce n’est pas parce que je ne connais pas de bons acteurs issus de la diversité culturelle, mais pour découvrir ceux que l’on ne voit jamais sur nos scènes et qui ont pourtant reçu une formation professionnelle.

Appelons ces auditions une occasion de nouvelles rencontres.

D’ailleurs, la diversité comme sujet ne m’intéresse pas. C’est même un mot qui risque bien vite de se retrouver dans un certain abécédaire (26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens). Je veux simplement pouvoir donner un rôle à un acteur d’origine africaine sans qu’il joue Le Noir. Je veux mettre en scène une distribution métissée sans que le sujet de la pièce soit l’exil, les origines, l’identité, l’Autre. De la même manière que je n’entre pas dans un dépanneur pour aller à la rencontre de l’Asie et que je ne marche pas dans les rues de Parc-Extension pour goûter à l’essence de l’Inde. Je suis chez moi, mon voisin aussi et il n’y a là rien d’extraordinaire. Cette extrême banalité, je la revendique même comme le cadre du miroir que le théâtre doit nous tendre. »

J’ajouterais qu’il me semble absolument incroyable que le Théâtre du Nouveau Monde présente cette saison une production comme La bonne âme de Se-Tchouan avec une distribution entièrement blanche, de surcroît grimée comme des clichés d’asiatiques, ou que le Théâtre du Rideau vert, non content de reconduire les préjugés avec une comédie qui prétend les dénoncer, engage un Blanc pour jouer un Arabe, et Denise Filiatrault d’en remettre la faute aux agences de casting et aux acteurs de la diversité culturelle, révélant la pauvreté de sa réflexion, sa paresse intellectuelle et sa mauvaise foi.

Une urgente mise à jour s’impose et c’est à nos institutions théâtrales de préparer la voie. Elles sont au contraire à la traîne. Et même que pour éviter les remises en question douloureuses, elles choisissent l’aveuglement volontaire.

 

Paru dans la section Libre Opinion du quotidien Le Devoir, 13 mai 2017.

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